L’industrie nucléaire a été mise en place en France dès le début des années soixante, avec la création du centre de Cadarache. L’électricité d’origine nucléaire représente aujourd’hui la principale énergie produite (73,3 %) et consommée ; elle provient de cinquante-huit réacteurs répartis sur l’ensemble du territoire. Le groupe Areva, dont les activités sont historiquement liées à l’énergie nucléaire, intervient sur l’ensemble des activités du cycle du combustible : en amont avec la conversion et l’enrichissement de l’uranium et en aval avec le recyclage des combustibles usés. Enfin, il participe activement à la conception et la construction des réacteurs nucléaires. EDF est son principal client.
Le choix du nucléaire a des racines profondes. La France a étendu durant la colonisation son empire sur la zone aride et inhospitalière du Sahel. Cette région a longtemps formé dans l’imaginaire colonial une Afrique « inutile » dont le développement semblait impossible, à l’exception notable du Sénégal. Après leur accession à l’indépendance à partir de 1960, la Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad ont été largement délaissés par les grandes puissances dont l’engagement y fut orienté par deux tropismes : l’un francophone, les pays concernés formant une zone d’influence naturelle pour l’ancienne puissance coloniale ; l’autre saharien, hérité lui aussi des temps de la colonisation, synonyme pour les grandes puissances d’espace vide et incontrôlable, pouvant servir de zone tampon aux velléités d’influence des pays du Maghreb et du Machrek, en particulier l’Algérie et la Libye.
Depuis les années 2000, une évolution majeure marque la région : le Sahel est perçu comme un espace dont l’instabilité menacerait la sécurité du monde. Une situation qui a conduit de nouveaux acteurs à s’y engager, comme les États-Unis et l’Union européenne. Et pour cause : les besoins exponentiels en énergie ce territoire en terrain de course pour les ressources naturelles.
Les sites miniers les plus importants se situent à Bakouma en République centrafricaine, ainsi qu’à Akokan et Arlit au Niger. Ces derniers produisent à eux seuls pas moins du tiers des besoins énergétiques français. Présent depuis quarante ans au Niger, Areva exploite l’uranium du nord du pays par le biais de deux filiales, la Somaïr et la Cominak, pour une production de 4.240 tonnes en 2013.
Les choses ont suivi un cours plus ou moins tranquille durant des décennies. Certes, Paris a envoyé plus d’une fois ses paras et ses légionnaires pour protéger ses intérêts (cf. l’opération Barracuda pour renverser Bokassa en Centrafrique ou les opérations Manta et Épervier au Tchad dans les années quatre-vingt pour repousser Kadhafi dans le désert), et la situation était rapidement normalisée… Areva jouait dans ces conditions quasiment à domicile, extrayant l’uranium du continent africain à un prix défiant toute concurrence, quitte à user du pot-de-vin avec les potentats locaux. Et peu importe si des ex employés d’Areva se plaignent de diverses maladies qu’ils imputent aux activités d’extraction. Les profits passent avant tout.
Mais depuis quelques années, deux facteurs sont en train de remettre en cause l’hégémonie de la France au Sahel et partant, l’approvisionnement en uranium à bas coûts. Le premier est la déstabilisation progressive de l’ensemble de la zone sahélienne par les activités des bandes criminelles et des groupes djihadistes de plus en plus agressifs. Le démantèlement de la Jamahiriya libyenne y est (en partie) pour quelque chose. L’incapacité absolue des dirigeants locaux à enrayer le processus n’a d’égale que leur impuissance à satisfaire les exigences fondamentales de leurs populations. L’effondrement de l’un de ces États se traduirait irrémédiablement par un effet domino immédiat sur les autres. Ce contexte extrêmement fragile contraint Paris à recourir de plus en plus souvent à des interventions de stabilisation et à engager de coûteuses opérations militaires : Épervier au Tchad, Licorne en Côte d’Ivoire, Serval puis Barkhane au Mali, Boali hier et Sangaris aujourd’hui en Afrique centrale.
À cet engagement toujours plus lourd, en particulier dans un contexte de crise qui oblige à réduire les dépenses militaires, s’ajoute un deuxième facteur. En effet, la France n’est plus toute seule à mener la partie en Afrique. L’Inde, la Corée et surtout la Chine se font de plus en plus présentes. Le livre blanc publié l’an dernier par cette dernière regorge de chiffres assez éloquents sur la transformation des liens commerciaux entre les deux régions, tout en insistant sur le caractère bilatéral de ces échanges. De fait, la balance commerciale entre la Chine et l’Afrique penche en faveur de cette dernière : sur les 198,49 milliards de dollars d’échanges commerciaux réalisés en 2012, 85,319 étaient constitués d’exportations de la Chine vers l’Afrique contre 113,17 milliards d’exportations africaines. La présence de cette forte concurrence a considérablement réduit le pouvoir de négociation de Paris, obligeant Areva à céder du terrain lors du renouvellement des licences d’exploitation d’Arlit et d’Ako kan : augmentation de 5,5 % à 12 % de la valeur des ressources extraites en faveur du Niger par exemple.
De plus, l’augmentation significative du coût d’extraction de l’uranium ainsi que l’effondrement du prix du minerai, passé de 140 $ / kg il y a cinq ans à 70 $ / kg aujourd’hui (effet Fukushima), sont loin de faire les affaires d’Areva. Si on y ajoute le poids toujours plus prohibitif des interventions militaires, la position de Paris est en passe de devenir difficilement tenable. L’image de la France est de surcroît en train de se détériorer au Sahel. Bloquée dans un premier temps par l’opération Serval, l’insurrection est aujourd’hui en train de reprendre son souffle et de nombreuses bandes djihadistes se sont installées au nord du Mali. En outre, l’activisme de Paris en Afrique a fait des objectifs français les cibles privilégiées de la galaxie fondamentaliste et des tribus touarègues, traditionnelles ennemies des pouvoirs centraux. Au sud, on assiste à une tentative de pénétration de Boko Haram, notamment dans les zones les plus pauvres et autour du lac Tchad, où la secte terroriste a établi sa base arrière et commencé à y installer des structures paraétatiques de contrôle du territoire en vue d’accroître sa zone d’influence. En République centrafricaine, l’opération Sangaris, si elle a réussi à mettre en sécurité les gisements de Bakouna, ne peut pas faire grand-chose pour stopper les tueries qui s’étendent aujourd’hui à l’ensemble du pays où les milices chrétiennes (anti balaka) et les différentes factions du Séléka s’affrontent de plus belle sous les yeux impuissants de la MINUSCA (mission internationale de soutien à la Centrafrique sous contrôle africain).
La France vit un véritable paradoxe : d’un côté l’ex puissance coloniale doit contrôler la zone pour préserver ses intérêts économiques et de l’autre, elle est financièrement acculée. Paris tente donc de s’appuyer sur des acteurs locaux, tels que le Tchad et son président Déby. Ce dernier, fort du soutien français, a d’ailleurs l’intention d’étendre le pouvoir de sa propre ethnie Zaghawa. On voit déjà les premiers résultats de l’opération : à part sa participation au bourbier centrafricain, c’est au Darfour que N’Djamena veut jouer un rôle en s’alliant aux Janjawid de Moussa Hilal (beau-père de Déby), et ce au détriment de Khartoum. C’est un grand service que le président tchadien rend aux Français. L’Élysée a en effet plusieurs objectifs dans la région en plus de ne pas vouloir voir un autre foyer d’instabilité se former : étendre son influence sur le Soudan et le Soudan du sud avec en point de mire le pétrole qui s’y trouve, mais surtout contrebalancer l’influence de la Chine dont la présence en Afrique fait l’effet d’un véritable pavé dans la mare.
Officiellement décolonisée, l’Afrique n’en reste pas moins le terrain de jeu de la France. Cette dernière ne pouvant desserrer l’étau sur les pays du Sahel, elle y déplace les chefs d’État selon ce qu’elle a à gagner : pétrole, uranium ou toutes autres richesses présentes dans le sol africain. Les peuples pèsent bien peu dans la balance : qu’importent les guerres, les massacres, les famines, les viols et toutes les autres formes de violence à partir du moment où les affaires continuent. Mais ces dernières sont justement remises en cause, contraignant Paris à conserver par tous les moyens une relation de type colonial avec l’Afrique. Il n’y a pas d’autre explication au redéploiement des forces militaires françaises sur le continent noir.
Capitaine Martin
lien: Résistance
Votre raisonnement, généreux, me semble hélas fondé sur deux graves erreurs. Au final il vous amène à soutenir l'Empire. Vous êtes victime de son soft power.
1. La France doit abandonner l'Afrique
Ce message, de qui nous vient-il ? De l'Afrique ? Alors citez vos sources. Ce n'est pas ce que j'entends des africains d'Afrique. Au contraire, ils espèrent la solidarité avec le peuple français pour poursuivre le transfert de technologie et les protéger des prédateurs américains et chinois qui eux sont amitié ni pitié.
« La France doit abandonner l'Afrique » est un message qui nous vient de l'Empire, il est martelé par sa presse et par ses ONG (Survie par exemple qui soutient étrangement le dictateur pro US Kagamé). Le but de la manœuvre est clair : barrez vous les français et laissez l'Empire installer sa douce « démocratie ».
Ne pensez-vous pas plutôt que les peuples français et africain francophones ont tout intérêt à s'épauler ?
Il est de l’intérêt de la France d'assurer ses ressources dans des partenariats de longue durée détachés du stupide mécanisme de fixation des prix par le « marché ». (qui s’avère toujours être au bénéfice du plus fort)
Pour casser l'amitié franco-africaine l'Empire agit en tenaille. D'un côté les gouvernants soumis à l'Empire sabotent les relations franco-africaine : suppression des crédits de coopération, transfert de pans entiers de notre politique africaine à l'UE, laissez-fairisme avec multinationales que vous dénoncez justement...
De l'autre côté de la tenaille, la gogoche française est bombardée du message : « la françafrique c'est le mal, ayez honte de votre passé, vous êtes coupable, dégagez ».
2. Le piège sémantique de la décolonisation
Pour manipuler la gogoche et la convaincre qu'il est urgent d'abandonner l'Afrique, l'Empire utilise un fallacieux parallèle avec la décolonisation qui renvoie le gauche française à la guerre d'Algérie.
L'Algérie était une colonie avec des français qui pensaient être « chez eux ».
Mais y a t'il jamais eu de colons au Mali ? Au Niger ? Des noms !! Des chiffres !!
Y a t'il jamais eu un mouvement populaire pour la décolonisation ?
Le mot « décolonisation » est un piège. Il s'agit d'être pour ou contre l'amitié franco-africaine.
Si vous voulez le bien de l'Afrique exigez que la France investisse dans ce continent d'avenir, exigez que des visas soient donnés à nos amis, exigez une véritable politique d'amitié franco-africaine. Cela vaudra mieux que la simpliste position culpabilisatrice et isolationniste que vous adoptez...
Salut.
je serais plutôt tenté d'aller dans le sens de fourminus
En effet j'ai participé moi même en tant que militaire français à l'opération licorne ( le mandat XV en 2007 lors de la cérémonie des flammes de la paix notamment ) et je peux faire le même constat :
La majorité de la population de la côte d'ivoire était pour le maintient de la Force française dans leur pays car notre soutient était bien plus important et efficace que celui de l'armée locale et nous entretenions ainsi d'excellente relation avec les villageois que nous rencontrions
il existe effectivement quelques groupes de résistance qui demande à ce que la France partent de ce pays mais ce sont bien souvent ces mêmes personnes qui pillent leur population, et commettent des exactions.
nous sommes les amis de l'Afrique et même si effectivement la France à commis des erreurs dans la gestion de ses relations, il n'en reste pas moins que du point de vue des populations locales, sans la participation active de la France dans certaines régions de ce continent les choses pourraient être bien pires
j'irais dans le même sens que fourminus, ce que doit faire la France n'est sûrement pas de se départir de ses liens avec l'Afrique qui sont encrés profondément mais bien participer à l'essor de ces régions en investissant et en agissant non pas de maître à toutou, mais de maître à élève
n'oublions pas enfin que certes l'armée française se déploie pour intervenir lorsque la situation dégénère mais ce n'est pas la vocation première de l'armée française, celle-ci préférant aidé à former les militaires sur places pour qu'elles puissent agirent elles mêmes dans l'intérêt de leur peuple par la suite ( on peut très bien s'en rendre compte dans ce reportage sur l'opération Serval que vous évoquez justement https://www.youtube.com/watch?v=hGPE7XSfgPI à partir de 29min10 jusqu'à 29min30 vous pourrez voir que l'armée française à fait fuir les insurgés mais pour laisser la place immédiatement aux forces maliennes )