Il dit avoir quitté le programme du Pentagone. Ses camarades confirment qu’il a disparu. Al-Qaïda dit qu’il a toujours été des leurs.
Le commandant de la Division 30, l’un des groupes rebelles syriens formés par les américains, aurait fait défection au programme « formation-et-équipement » selon un message posté par lui-même sur les réseaux sociaux en raison de rumeurs (et de démentis) disant qu’il était effectivement passé dans le camp de Jabhat al-Nusra, la franchise officielle de Al-Qaïda dans son pays ravagé par la guerre.
La Division 30 a officiellement reconnu avoir perdu le contact avec le commandant Anas Obaid (alias Abu Zayd) dans la banlieue d’Alep où, lui et 71 autres rebelles issus de la Nouvelle Force Syrienne (NSF), connue pour être l’armée mandatée du Pentagone, avaient été envoyés le 19 Septembre, après avoir terminé leur formation en Turquie. La Division 30 a également évoqué la probabilité que Abu Zayd se soit retourné vers les djihadistes et a souligné que si cette information était confirmée, il serait jugé pour trahison.
Cependant, le Commandement Central des États-Unis a déclaré au Daily Beast que Abu Zayd n’était pas l’un des diplômés issus de son programme. Il est vrai que tous les membres de la Division 30 ne rejoignent pas la NSF mais si Abu Zayd avait effectivement abandonné la faction rebelle cela embarrasserait et contrecarrerait sans doute les plans américains pour trouver un pôle de recrutement crédible et « modéré » de contre-insurrection anti-ISIS. Dans un communiqué envoyé par courriel et publié ce mercredi, le Commandement Central a déclaré qu’il n’avait « aucune indication que tous les combattants de la NSF aient fait défection pour rejoindre Al-Nusra » et que « toutes les armes et équipements de la Coalition étaient sous le contrôle positif des combattants de la NSF ». Mais les responsables américains ont également déclaré que Washington ne pouvait ni exercer ni suivre le commandement et le contrôle de ses intermédiaires une fois qu’ils entraient sur le territoire syrien. La semaine dernière, le Pentagone avait déclaré qu’un combattant de première classe parmi 54 diplômés avait été capturé par les « forces anti-syriennes ».
Néanmoins, il apparait que Abu Zayd ait mal tourné, et il semble revendiquer que tous ses hommes aussi. « Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux, nous, le regroupement des révolutionnaires de Atareb et sa région, annonçons que nous sommes extérieurs à la Division 30 d’infanterie et que nous sommes une faction indépendante travaillant sur les terres syriennes de manière isolée de toute coordination avec la coalition internationale », a-t-il posté sur sa page personnelle Facebook mardi. « Et nous confirmons au peuple syrien que nous allons combattre les khawarij des temps modernes [une référence à l’État Islamique] et répondre à leur agression à Alep et sa région ».
La Division 30 a également reconnu qu’elle n’avait plus entendu parler de Abu Zayd depuis son déploiement en Syrie, et se sentait obligé de renoncer à tout lien organisationnel avec al-Nusra. « Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux: Nous, la direction de la Division 30 d’infanterie, nions fermement tout contact avec Jabhat al-Nusra; et pour ce qui est arrivé avec le commandant Anas Obaid, nous ne sommes pas, jusqu’à présent, en mesure de confirmer parce que la connexion est coupée avec lui », a noté le groupe sur sa propre page Facebook. « Dans le cas où cela se produirait, nous le soumettrons à la Cour Militaire sur des accusations de haute trahison parce que ces armes ne sont pas sa propriété mais celle du peuple syrien. Et l’accusé est innocent jusqu’à preuve du contraire ».
Le Capitaine Ammar al-Wali, porte-parole officiel de la Division 30 a contredit le démenti du Commandement Central comme quoi Abu Zyad n’était pas membre du programme formation-et-équipement mais a ajouté qu’il ne savait rien sur le sort des rebelles manquants et de leur affiliation actuelle. Il a déclaré au téléphone pour The Daily Beast: « Je ne peux ni confirmer ni contester que la défection se soit produite. Si cela est vrai, cette défection était prévisible. Nous avons averti les responsables de ce programme. Il y avait eu aussi une demande du commandant général de la division 30 de le suspendre [Abu Zayd] avant qu’il ne finisse sa formation parce que nous avions des informations sur ce qui allait se passer, mais les responsables du programme ont refusé de le suspendre ».
Une source occidentale au sein du Front Al-Nusra a confié que non seulement la défection de Abu Zayd est vraie mais que d’autres éléments de la NSF ont directement remis toutes leurs armes à Al-Nusra lors de leur entrée sur le territoire syrien dimanche soir, et plus précisément dans la ville de Atareb, dans le gouvernorat d’Alep.
« Le chef de la Division 30 a été arrêté par Al-Nusra quand il est entré en Syrie », a déclaré Abu Saeed al-Halabi, un membre néerlandais de Al-Nusra. « Il avait l’intention de quitter la Division 30 avec son groupe. Il dirigera un nouveau groupe dans sa ville d’Atarib. Il a proposé de donner à Al- Nusra un grand nombre de ses véhicules et de ses armes en échange de la protection et de la liberté. Il a tenu des propos contre les Etats-Unis, et il se battra contre le régime Assad malgré son accord avec les Etats-Unis ».
Cependant, d’autres sont sceptiques sur cette histoire et soulignent le fait qu’il s’agit de la manière de procéder d’al-Nusra de propager de la désinformation pour affaiblir des programmes américains de contre-insurrection longuement concoctés. « C’est une propagande médiatique d’al-Nusra », déclare Rami Abdul Rahman, de l’Observatoire Syrien pour les Droits de l’Homme, basé à Londres. « Personne n’a fait défection ». Un responsable du renseignement américain a déclaré que, bien qu’il ne pouvait pas exclure la défection de Abu Zayd, l’histoire devait être « prise avec de grosses pincettes ».
L’Observatoire Syrien a été le premier à faire un rapport sur l’entrée de la seconde classe de diplômés de la NSF, de la Division 30 et d’un autre groupe de l’Armée syrienne libre-alignés, Soqour al-Jabal. L’ensemble du contingent a été signalé comme ayant traversé la Syrie du nord dans un convoi de 12 véhicules 4×4, tous équipés de mitrailleuses.
Si la défection de Abu Zayd est prouvée, elle serait survenue environ 48 heures après que le chef du personnel de la Division 30, le colonel Mohammed al-Daher, ait également été retiré du programme de formation-et-équipement du Pentagone, citant six problèmes avec lui, parmi lesquels une « lenteur dans la mise en œuvre du programme de formation », un « manque de sérieux dans la mise en œuvre du projet » et un « manque de précision et de méthodologie dans la sélection des équipes ». Et aujourd’hui, Bloomberg a rapporté que le général à la retraite, John Allen, selectionné scrupuleusement par le président Obama pour agir comme envoyé à la coalition anti-ISIS, se retirerait dans quelques semaines, un départ expliqué à la fois par ses frustrations vis-à-vis de la politique de guerre de la Maison Blanche et par sa femme malade.
La NSF a été ouvertement qualifiée de fiasco, avec des fonctionnaires de l’administration pas loin de jeter le blâme du programme moribond sur les conseillers d’Obama, passés et présents, qui avaient préconisé l’armement des rebelles syriens plus tôt et de façon plus complète (quoique pour combattre le régime de Bachar al-Assad, et non pas ISIS). Au début août, l’armée américaine avait perdu le contrôle de sa première classe de 54 combattants lorsqu’ils s’étaient dispersés peu après avoir reçu leur formation. Plus tard ce mois-ci, l’Observatoire Syrien a affirmé que al-Nusra avait libéré sept des rebelles capturés.
La semaine dernière, l’armée américaine a déclaré qu’elle avait actuellement perdu de leur compte 18 combattants et qu’un autre était détenu en captivité mais refusait de dire par quel groupe. Depuis cette annonce, 71 autres combattants sont entrés en Syrie, a déclaré lundi le Pentagone.
Le porte-parole de la Division 30, al-Wali a déclaré: « Nous ne voulons pas mener le programme à l’échec mais les américains n’ont pas été disposés à travailler avec les agents défectueux bien connus de l’armée syrienne qui ont exprimé leur intérêt à collaborer malgré le risque personnel que cela implique ». Al-Wali a ajouté qu’il y avait une carence majeure dans le programme du Pentagone concernant la désignation des recruteurs américains; il a laissé entendre que certains des membres sélectionnés sont considérés comme trop proches du régime d’Assad et donc considérés comme indignes de confiance pour l’armée d’opposition.
« Ceci est un autre élément de preuve que la politique américaine en Syrie est, au mieux, incohérente et, au pire, contre-productive », a confié Chris Harmer, un analyste à l’Institut pour l’étude de la guerre, basé à Washington DC. « La Division 30 est un échec colossal. Nous avons dépensé beaucoup d’argent – mais ce n’est même pas ce qui compte – c’est la bonne volonté que nous avons gaspillé. Chaque jour, les États-Unis continuent à accepter la présence du régime Assad, nous perdons le peu de bonne volonté qu’il nous reste; 90% de la population syrienne veut voir le régime disparaître. Cela signifie que 90% de la population syrienne ne voit pas les Etats-Unis comme un allié fiable dans sa reconstruction future ».
Source : The Daily Beast
Traduction : Rochelle Cohen