Une jeune étudiante de l’université de Droit d’Alger s’est vue refuser l’accès à son examen pour le motif d’une jupe jugée trop courte. Comme à leur habitude, les médias officiels n’ont rien laissé filtrer concernant cette affaire de « jupe » qui nous rappelle en vérité une vingtaine d’affaires similaires qui se sont produites ces derniers mois, mais avec des différents seuils de gravité. La question des femmes refait surface en Algérie, portée par la nouvelle vague des réseaux sociaux et des blogs d’infos qui arrivent à échapper au grand ciseau de la censure algérienne.
La politique du paradoxe en Algérie est un art que le régime cultive avec un grand soin. Il fonctionne avec la stratégie de l’intérêt personnel et non de l’intérêt public, tout en réduisant au silence lorsqu’il s’agit d’une agression ou une menace à l’encontre de ceux qui lui sont hostiles d’une manière ou d’une autre. Cette affaire de jupe trop courte nous dévoile malheureusement bien plus que de jolies jambes. Elle nous montre en fait la perversité d’un régime qui recule par intérêt face au dictat des islamistes qui prennent plus d’aise à proclamer leur haine. L’épisode de l’appel au meurtre lancé par le prédicateur Hamadache à l’encontre du journaliste Kamel Daoud en est le parfait exemple de ce « laisser faire » de l’Etat qui règle ses comptes avec ses opposants tout en optant pour la lois du silence. Amara Ben Younes, actuel secrétaire général du MPA et ministre du commerce s’est retrouvé bien seul face à ces forces islamistes rétrogrades qui visent à interdire la consommation d’alcool dans le pays. Cela s’est déroulé après qu’il ait soumis au gouvernement un projet de loi visant à réorganiser le secteur de vente de boissons alcoolisées.
Le gouvernement de Sellal qui a montré durant ces dernières années une certaine bienveillance à l’égard du ministre en question et son projet de loi a été contraint de faire machine arrière et s’aligner sans faire de commentaire. Ben Younes a donc été livré à lui-même, sans aucun soutien de la part de certains défenseurs des libertés qui ont privilégié leur statut d’opposants. « Sois un homme et occupe-toi de tes fesses ! » Au lendemain de cette affaire de « jupe », le débat sur les libertés individuelles, la pudeur et surtout la question des femmes est relancée. Facebook reste néanmoins le seul ring où tous les coups sont permis dans l’absence de vrais médias transparents. Un jeune homme se prend en photos avec ses quatre filles en signant : « Sois un homme et ne laisse pas tes femmes sortir sans voile! ». A croire que l’honneur de cet homme dépend uniquement de la longueur des jupes de « ses » femmes ! Encore là faut-il souligner le pronom possessif qui détermine (selon cet homme) qui est l’objet de qui. C’est le summum de l’intelligentsia machiste. Faudrait-il se contraindre à faire abstraction de tous nos réels problèmes – de la saleté de nos rues et de l’abandon de nos hôpitaux jusqu’à la corruption au sommet de l’Etat – pour se concentrer sur notre souci majeur : les jupes des Algériennes ! Comme si tout allait bien dans notre pays ! Des messages d’indignation ont inondé les réseaux sociaux notamment Facebook pour répondre à ces faits et à ces commentaires machistes postés par quelques internautes. Le ton varie du plus au moins « drôle ». Pour afficher leur soutien sans équivoque à la jeune fille en question, un groupe a vu le jour sur la toile avec comme slogan ironique « Sois un homme et occupe-toi de tes fesses ! ».
D’autres choisissent des formules qui correspondent à leurs besoins du quotidien je présume, comme « Sois un homme et nettoie devant chez toi », « Sois un homme et respecte ta femme » ou encore « Sois un homme et lutte pour l’égalité homme/femme ». Ce qui ne laisse pas l’ombre d’un doute, c’est le fait que tout cela aurait pu être exploité dans un énorme chantier qui aurait dû commencer au lendemain de la décennie noire pour construire un vrai projet de société, et délimiter les champs du sacré et du profane. Le constat actuel donne l’impression que tous les domaines sont confondus en Algérie, profitant de l’absence d’un Etat qui ne s’occupe que de sa légitimité autant à l’échelle nationale qu’internationale, son économie dépendante et sa stabilité sécuritaire, évitant un éventuel face à face qui l’opposera certainement à ces vieux ennemis qui lui sont aujourd’hui des serviteurs dévoués.
Tribune de Fatih Nour Naceur.