Digne d’un roman d’espionnage, l’arrestation des journalistes d’investigation Eric Laurent et Catherine Graciet dans le cadre d’une sombre histoire de rançonnage royal , enflamme toute la classe journalistique. Si tout semble accabler les deux sentinelles, l’affaire s’inscrit dans une atmosphère de dégel des relations franco-marocaines.
Février 2014, janvier 2015 : France – Maroc, rien ne va plus !
Une série de couacs diplomatiques avait contribué à suspendre, entre février 2014 et janvier 2015, les coopérations entre la France et le Maroc. De la convocation de la juge d’instruction française Sophie Kheris adressée à Abdellatif El Hammouchi, directeur de la sécurité intérieure du royaume de Mohammed VI, aux propos d’un diplomate français rapportés par l’acteur Javier Bardem, le Maroc prononça finalement le 26 février 2014 la suspension des accords de coopération judiciaire entre les deux pays.
Depuis lors, les autorités françaises tentèrent maladroitement plusieurs rapprochements avec le pouvoir royal, à l’image du discours prononcé par François Hollande en octobre 2014, mais qui ne convainquirent guère Mohammed VI.
Dilution des réseaux de renseignement français
Après le dynamitage des réseaux de renseignement franco-syriens lors de l’offensive diplomatique et militaire menée contre le pouvoir Assad, Laurent Fabius en tête, la France voyait une nouvelle source de renseignement disparaître, notamment en matière de terrorisme. Comme l’a rappelé très récemment Christian Cambon, « les conséquences ont été très grave en matière de lutte contre le terrorisme et contre la criminalité organisée. En effet, la coopération entre nos deux pays est d’abord essentielle en ce qui concerne la répression des filières djihadistes qui œuvrent sur notre territoire et sur le territoire marocain. La suspension de la coopération des services d’enquête et de renseignement aurait donc pu rendre impossible la prévention d’un acte terroriste. En second lieu, nos forces engagées au Sahel ne pouvaient plus bénéficier des informations recueillies par les services de renseignement marocain et transmises à nos propres services. »
Février 2015 : reprise des relations
Les tensions entre les deux pays furent dépassées à partir de février 2015, date de reprise de la coopération judiciaire par la signature d’un protocole examiné et adopté à la commission des affaires étrangères du Sénat le 1er juillet 2015. Entre temps, les services diplomatiques, ainsi que plusieurs parlementaires « amis » du Maroc comme M. Jack Lang et Mme Elisabeth Guigou, s’activèrent pour mener à bien les négociations autour de ce protocole. Un projet de texte largement dénoncé par plusieurs ONG.
Eric Laurent, ultime gage de dégel ?
Dans ce contexte mouvementé, Eric Laurent, journaliste d’investigation, déjà auteur d’un premier ouvrage sur Mohammed VI, a été arrêté à Paris avec Catherine Graciet, jeudi 27 août 2015, sur plainte des autorités marocaines en France, soupçonné de tentative d’extorsion auprès du pouvoir royal marocain. Les détails des évènements se répandent dans la presse depuis lors. Après une première prise de contact début juillet 2015, au cours de laquelle Graciet et Laurent auraient demandé une rançon de trois millions en échange de leur silence sur des affaires compromettant le roi marocain, autorités françaises et marocaines travaillèrent de concert pour prendre en flag’ les deux margoulins : enregistrement des menaces au cours d’une seconde entrevue, remise d’une avance en liquide lors d’une troisième clôturée par l’arrestation des deux écrivains.
Eric Laurent est l’auteur d’une bibliographie conséquente avec plusieurs best-sellers, en cours d’adaptation télévisuelle pour certains. Il est légitime de s’interroger sur les vérités profondes de cette sombre affaire de chantage financer. Car si les problèmes d’argent ne semblent pas être un malheur accablant l’écrivain, la quête de véracité journalistique des sujets les plus brûlants de notre société caractérise davantage le personnage. Déjà, un de leurs avocat parle de « traquenard », ajoutant que « le royaume du Maroc a des comptes extrêmement lourds et un passif à solder avec Catherine Graciet ».
Attendons la présentation des preuves avancées par les autorités afin d’obtenir des indications sur la genèse de cette affaire. Nul doute que les débats juridiques seront de haute volée, avec la participation de Me Dupond-Moretti. Nul doute que le roi du Maroc voit en l’avocat un bon présage : assurant la défense lors du célèbre procès Outreau, gageons que l’avocat fera son possible pour dissiper les accusations autour du pouvoir royal.
Eric Laurent. Catherine Graciet. Bonnie and Clyde littéraires ou pions de l’échiquier diplomatique français ?
Bien fait pour eux.
Ils n’avaient qu’à publier leur livre et à attendre l’argent des droits d’auteurs…
Ils pensaient peut être que le Maroc était le Qatar…
Bonjour Momo,
Croire immédiatement en la véracité de ce rançonnage financier est à mon avis bien prématuré, c’est le sens de cet article. Laissez un peu la parole à la défense. Peut-être que l’affaire est bien plus compliquée que cela. Essayaient-t-ils d’obtenir davantage d’informations compromettantes sur le pouvoir royal ? Avons nous des certitudes sur la réalité des enregistrements réalisés par les autorités ?