Selon les chiffres officiels de l’ONU, près de 6.000 enfants meurent de soif chaque jour. Pourtant, ce sont environ cent milliards de tonnes d’eau qui tombent sur la terre tous les ans. Que ce soit sous la forme de pluie ou de neige, l’eau tombe du ciel, parcourt le lit des rivières avant de se jeter à la mer et terminer son cycle en s’évaporant. À peine 3 % de cette masse considérable de liquide est composée d’eau douce. Et si l’eau recouvre 70 % de la surface de la Terre, on trouve en effet 97,5 % d’eau salée. Le devenir de l’humanité dépend donc des 2,5 % restants…
Et tandis que la population de la planète a triplé au cours du siècle dernier, la demande d’eau a été multipliée par sept alors que la superficie des terres irriguées l’a été par six. Ce problème ne doit pas être sous-estimé. Au cours des cinquante dernières années, la pollution des eaux souterraines a réduit d’un tiers les ressources hydriques. Toujours selon l’ONU, un milliard et 400 millions de personnes vivent aujourd’hui sans eau potable. Et leur nombre pourrait doubler dans les années à venir pour atteindre selon les estimations actuelles quelque deux milliards et 400 millions en 2025.
L’UNEP (le Programme des Nations Unies pour l’environnement) estime que la soif tue chaque année dans le tiers-monde plus de quatre millions de personnes. L’eau, ce produit « conservateur et peu volatile » dans le jargon bancaire, apparaissait il y a encore dix ans comme un suicide commercial. Or, la pression démographique est forte. Et l’agriculture tout comme l’industrie utilise des quantités importantes d’eau. Le secteur privé a vu sa participation dans toutes les questions liées à l’eau aller crescendo. « De 6 % en 2000, cette participation est passée à 12 % en 2010 et pourrait facilement atteindre 18 % en 2020 », explique David Owen, expert du fonds Water de la banque Pictet & Cie basée en Suisse. Il y a fort à parier que les pétrodollars cèdent assez rapidement leur place aux aqua dollars. Et nul doute que tout ceci sera savamment calculé par les propriétaires de ces richesses qui auront le pouvoir d’asservir une bonne partie de l’humanité. La rareté de l’eau pourrait de surcroît déclencher plus de conflits politiques que le contrôle des champs de pétrole.
Une étude du Brookhaven national laboratory décrit parfaitement la question de l’eau au niveau mondial. On y relève que 40 % de l’eau douce est concentrée dans à peine six pays (le Brésil, la Chine, l’Inde, la Russie, les États-Unis et le Canada) quand 40 % de la population mondiale est confrontée à des problèmes d’approvisionnement.
Et si 450 litres d’eau par jour suffisent à peine à une famille canadienne de quatre membres, l’Africain devra se contenter quant à lui de seulement vingt litres. L’agriculture intensive conduit à une consommation hors de contrôle et à une pollution sans précédent. Quelques multinationales n’hésitent pas à s’emparer des nappes phréatiques, mais rencontrent parfois une résistance inattendue : au Kerala par exemple où des femmes ont tenu des sit-in pendant plus d’un an pour protester contre l’assèchement desdites nappes par Coca-Cola.
Contrairement au pétrole, il n'existe pas de substitut à l'eau. Cette dernière peut être produite par la désalinisation ou par l'assainissement d'eaux usées. Là aussi, le secteur n'a pas tardé à être en proie aux visées hégémoniques des entreprises. En France, les deux tiers de la distribution d'eau potable sont assurés par des distributeurs privés : Veolia possède 34,5 % du marché, la Lyonnaise des eaux 19, 5 % et la SAUR 10,8 %. Concernant l'assainissement, les régies liées aux collectivités territoriales détiennent environ 48 % du marché. La part de Veolia est de 22 %, celle de la Lyonnaise des eaux de 20 % et celle de la SAUR de 9,3 %.
Il faut noter que l'installation des réseaux d'eau potable et leur gestion ne se sont jamais totalement faites au niveau national, comme ce fut le cas pour l'électricité. Les communes ont le choix entre une gestion de l'eau en direct dite « en régie » et une délégation de service public sous la forme de contrat avec une entreprise privée. Depuis de nombreuses années, des associations de consommateurs, voire d'élus, dénoncent le prix anormalement élevé du mètre cube d'eau, son évolution trop rapide et l'opacité qui règne dans la fixation de ce prix.
Aujourd’hui, 11 % de la population mondiale contrôlent 84 % de la richesse produite. Cette minorité consomme 88 % de l’eau pendant que quatre-vingts pays représentant 40 % de la population mondiale manquent cruellement d’eau alors que cette ressource vitale est désormais en proie à la spéculation.
L’humanité s’est établie sur terre, au fil de l’eau pourrait-t-on dire. Du moins une grande part… Il lui reste à retrouver cette partie d’elle-même, écrasée sous la loi du mépris qui génère la loi du plus fort et celle du marché. Car l’eau n’est pas une marchandise mais un droit humain.
Capitaine Martin.