Lancée le 1er juillet 2014, « l’opération Kant » avance doucement dans les couloirs du Parlement. Mercredi 4 février 2015, la commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat auditionnait Monsieur Daniel Reiner (1) sur l’état d’avancement du projet « KANT » de rapprochement entre Nexter (2) et Krauss-Maffei Wegmann (KMW) (3). Nous en savons désormais un peu plus sur la future structure de ce géant européen, mariage franco-allemand que certains nomment « l’Airbus de l’armement terrestre ».
Rappelons ici que le projet de loi pour la croissance et l’activité dite « loi Macron », consacre plusieurs articles au rapprochement entre ces deux entreprises.
Extraits choisis du compte-rendu de l’audition.
Le ton semble donné dès le début par M. Reiner :
Les industries de défense terrestre ont longtemps été considérées comme des industries de souveraineté. Ce n’est plus le cas : la France, comme d’autres, est prête à acheter « sur étagère ».
En cause ? Les budgets qui se contractent en Europe et en Amérique du Nord, ainsi qu’une concurrence exacerbée avec les leaders mondiaux américains General Dynamics et B.A.E.
Présentant un carnet de commande « convenablement rempli, essentiellement grâce au marché domestique et à l’opération Scorpion », l’avenir de l’industriel français ne semble pas menacé. Selon M. Reiner :
En 25 ans, l’État a injecté plus de 4 milliards d’euros dans cette entreprise, qui est passée de 18 000 à 3 000 emplois. Elle est actuellement profitable et consacre à peu près 20 % de son chiffre d’affaires à la recherche et développement. C’est donc une entreprise en bonne santé, dotée de belles perspectives.
Le montage juridique de la future entité commence à se préciser, M. Reiner expose à l’auditoire les futurs contours de la société.
Une société commune va être créée, à laquelle chacune apportera 100 % de son capital. Dénommée provisoirement « NewCo », elle pourrait aussi bien s’appeler « KANT », d’après l’acronyme qui désigne le projet.
L’association à égalité empêche de donner à Nexter la majorité : il faudra donc privatiser cette entreprise. A cet effet, la loi devra la faire entrer dans la liste des entreprises publiques privatisables. La discussion est en cours entre l’Agence des Participations de l’État (APE) et la famille Bode-Wegmann sur la valorisation.
Questions de l’auditoire. Après quelques réactions enjouées des sénateurs Jean-Paul Emorine et Joël Guerriau, la sénatrice du Nord Michelle Demessine, membre du groupe communiste républicain et citoyen, prend la parole et fait part de quelques inquiétudes notamment sur le siège social de la future structure.
Mme Michelle Demessine. – Je ne pousserai pas, comme vous, un « cocorico » ! Beaucoup de questions demeurent et suscitent l’inquiétude du personnel. Certains produits resteront en concurrence, et nous savons que les Allemands sont mieux armés que nous pour exporter. Le siège social de la future société sera en Hollande…
M. Daniel Reiner. – Oui, à La Haye.
Mme Michelle Demessine. – Pourquoi ?
M. Jacques Gautier, président. – Sans doute pour des raisons fiscales…
Mme Michelle Demessine. – En pleine lutte contre l’évasion fiscale, ce n’est pas glorieux ! Les rapporteurs devront entendre les organisations syndicales.
M. Daniel Reiner. – Nous le ferons le moment venu.
Et Daniel Reiner qui poursuit à ce sujet :
Pourquoi un siège à La Haye ? Les Allemands ne voulaient pas qu’il soit en France et réciproquement. Bien sûr, on a choisi un pays à fiscalité intéressante, comme l’ont fait Airbus, Air France et bien d’autres. Mais il ne s’agit que de la fiscalité des dividendes : les usines, établissements, bureaux d’études resteront là où ils sont et ils paieront leurs impôts sur place.
A une question de la sénatrice Marie-Françoise Perol-Dumont sur la question de la sauvegarde des intérêts français, réponse de M. Reiner :
La privatisation ne pose pas de problème : elle est simplement imposée par le rapprochement à égalité et il ne s’agit pas d’une industrie de souveraineté. Il y aura bien une action spécifique pour l’Etat, essentiellement pour les munitions, qui relèvent, elles, de la souveraineté. Notre commission ne sera pas saisie pour avis du projet de loi « Macron », puisqu’il y a une commission spéciale, où notre collègue Jean-Pierre Masseret nous représentera et suivra les articles relatifs à ce projet « KANT », en entendant si besoin les parties prenantes.
La gouvernance est déjà prévue. Il y aura un conseil de surveillance de sept membres, dont deux seront choisis par Krauss-Maffei Wegmann, deux par l’État français et trois seront indépendants. Le président sera l’un des trois membres indépendants. Le directoire sera bicéphale et MM. Haun et Burtin seront les directeurs jusqu’à l’élaboration d’une compagnie unique. L’objectif sera de mettre en place des programmes communs pour réaliser des économies d’échelle.
Toujours sur la question de la privatisation, le sénateur Jacques Gautier déclara :
Mon premier amendement à la loi de programmation militaire avait été de rendre privatisable, notamment, Nexter, pour dégager des marges. Si les négociations n’aboutissent pas, il n’y aura pas de privatisation. Il faudra suivre aussi les débats sur l’article additionnel introduit par le Gouvernement avant l’article 50 du projet de loi « Macron », sur les sociétés de projet, chères au ministre de la Défense, qui entend financer ainsi les 2,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles, prévues pour 2015, qui ne pourront pas provenir des cessions de fréquences hertziennes.
Et pour conclure finalement par :
« Merci. Il s’agit d’un dossier majeur, pour les mois et les années à venir, en matière de matériels militaires. »
Nous ne vous le faisons pas dire…
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(1) Daniel Reiner est élu sénateur de Meurthe-et-Moselle depuis le 23 septembre 2001. Il appartient au groupe socialiste du Sénat. Entre autres fonctions, M. Reiner est membre titulaire de la Délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, ainsi que membre de la commission Sécurité Défense de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. De 2012 à 2013, il membre de la Commission du Livre Blanc de la Défense et de la Sécurité Nationale, et participe à ce titre au groupe de travail des industries de Défense.
(2) Nexter est un groupe industriel de l’armement appartenant à l’État français. Il fabrique du matériel militaire pour le combat terrestre, aéroterrestre, aéronaval et naval. Nexter résulte de la filialisation des différentes entités du groupe Giat Industries qui en devient la holding de tête (source Wikipedia).
(3) Krauss-Maffei Wegmann est une entreprise allemande issue de la fusion des entreprises J.A Maffei et Krauss et Co, qui donnera naissance à la Krauss-Maffei, puis en 1999 à la fusion avec Wegmann. Elle fabriqua à l’origine des locomotives pour fabriquer ensuite des machines-outil pour la production d’éléments en matière plastique et produit de nombreux véhicules militaires (source Wikipedia).
Les industries de défense terrestre ont longtemps été considérées comme des industries de souveraineté. Ce n’est plus le cas : la France, comme d’autres, est prête à acheter « sur étagère »