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Des milliards de dollars pour un dirigeable de surveillance au-dessus du Maryland Infos internationales

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Dans quelques jours, l’armée va lancer le premier de deux énormes dirigeables au-dessus du Maryland, l’aboutissement d’un projet militaire de dix-huit années, estimé à 2,8 milliards de dollars, prévoyant d’utiliser ces ballons géants pour se défendre contre des missiles de croisière.

Et tandis que les dirigeables pourraient ne jamais repousser un seul barrage de missiles ennemis, leur capacité à repérer et à suivre des voitures, des camions et des bateaux sur des centaines de kilomètres, soulève de sérieuses préoccupations pour la vie privée.



Le projet s’appelle JLENS ou « Joint Land Attack Cruise Missile Defense Elevated Netted Sensor System ». On ne pouvait pas trouver une meilleure métaphore pour définir les contrats de défense sauvagement gonflés, la lourde bureaucratie du Pentagone et le Léviathan de surveillance des États-Unis, le tout en un.

Construit par la société Raytheon, les dirigeables JLENS fonctionnent par paire. L’un doté de radars haute résolution à 360 degrés assure une couverture omniprésente sur 550 kilomètres dans toutes les directions; l’autre peut se concentrer sur les menaces spécifiques et fournir des informations de ciblage.

Techniquement considérés comme aérostats car ils sont attachés à des stations d’amarrage, ces véhicules plus légers que l’air pourront planer à une hauteur de 10000 pieds (3048 mètres) à proximité de l’autoroute Interstate 95, à environ 75 kilomètres au nord-est de Washington DC, et à environ 35 kilomètres de Baltimore. Cela signifie qu’ils peuvent regarder ce qui se passe de la Caroline du Nord jusqu’à Boston, soit une zone de la taille du Texas.

À un moment donné, il devait y avoir près de trois douzaines de dirigeables. Mais après une série de défaillances opérationnelles et de dépassements de coûts massifs, le programme a été considérablement revu à la baisse pour se contenter des deux prototypes existants que l’armée prévoit de faire voler en permanence au-dessus du Aberdeen Proving Ground pendant trois ans, sauf arrêts pour entretien et par mauvais temps.

Dès que les dirigeables seront en place, si vous conduisez sur l’autoroute interstate au Nord de Baltimore, vous ne pourrez pas les manquer. Ils font 80 mètres de long et leur volume total se situe autour de 17 000 mètres cubes. C’est à peu près la taille de trois dirigeables Goodyear. Ou plus de 3500 éléphants blancs.

« Il y a quelque chose d’intrinsèquement suspect pour le public qui regarde dans le ciel et voit ce dispositif de surveillance accroché là », dit Ginger McCall, directeur associé de l’Electronic Privacy Information Center (EPIC), un groupe de défense. « C’est la définition de la surveillance persistante ».

Des responsables de l’armée affirment qu’ils n’ont aucun autre intérêt hormis la surveillance des missiles, ou peut-être des bateaux. Pourtant JLENS peut détecter beaucoup plus que cela.

« Beaucoup de gens peuvent entendre le radar et ils s’imaginent un écran vert floue avec des petits spots. Mais le radar d’aujourd’hui est beaucoup plus complexe que cela, il est en quelque sorte semblable à une caméra », prévient Jay Stanley, un expert privé de l’Union Américaine pour les Libertés Civiles (ACLU).

Une documentation promotionnelle de Raytheon se vante d’un test récent, lorsque le radar JLENS a « détecté et suivi simultanément un nombre important de bateaux groupés, des centaines de voitures et de camions, des bateaux non groupés et des aéronefs avec et sans pilotes ».

Les aérostats comme JLENS ne sont pas limités à l’utilisation de radars. S’ils sont équipés de caméras vidéo de très haute résolution, ils peuvent tout voir et tout enregistrer sur des kilomètres, avec des détails extraordinaires. À Kaboul, par exemple, les habitants sont habitués à voir l’aérostat de l’armée américaine – appelé système de surveillance terrestre persistante – planant au-dessus de la ville et capturant des vidéos de leur vie quotidienne.

L’armée soutient qu’il n’y aura pas de caméras sur le JLENS pour l’instant. Cependant lors d’un test l’année dernière, Raytheon a équipé l’un des dirigeables avec un système de ciblage multispectrale MTS-B qui fournit jour et nuit une technique d’imagerie, une désignation laser, et des capacités d’illumination laser.

Résultat: les opérateurs JLENS ont pu « observer en direct le flux des camions, des trains et des voitures sur des dizaines de kilomètres à la ronde ». Ils ont également observé les employés de Raytheon « simulant l’implantation d’un engin explosif improvisé sur un bord de route ».

Le Commandant Beth Smith, porte-parole pour le programme JLENS, dit que l’armée n’a pas l’intention d’espionner qui que ce soit. JLENS « n’a pas de caméras, il ne fait pas de vidéo ni aucun suivi des gens », dit-elle. « Il ne possède pas la capacité de voir les gens ».

Et bien qu’il puisse voir des voitures, « pour les besoins de ce test, nous n’avons pas l’intention de suivre des véhicules. En fait, aucun véhicule civil ».

UN PROGRAMME DÉGONFLÉ

Retour en 2005, l’Armée prévoyait de faire construire par Raytheon 32 dirigeables pour un coût d’environ 180 millions de dollars chacun. Mais des doutes croissants et des coûts hémorragiques, ainsi que la destruction d’un dirigeable dans une collision, ont conduit le Pentagone à appuyer sur la pédale de frein en 2012. Il n’y aurait plus de nouveaux dirigeables supplémentaires, uniquement des tests avec les prototypes déjà construits.

Cela porte le prix à payer pour les deux dirigeables restants à environ 1,4 milliard de dollars chacun, si les coûts de développement sont comptés. (Techniquement, il y a un autre duo en veilleuse, entreposé dans le désert de l’Utah, mais il n’y a pas de plans prévus à son utilisation). C’est une somme d’argent considérable, même selon les normes du gouvernement fédéral.

Raytheon claironne les résultats de plusieurs essais réussis de leur système, incluant une démonstration en Août 2013 au cours de laquelle JLENS a aidé un F-15 à frapper une maquette de missile de croisière en plein ciel. Mais une analyse poussée par le Bureau de Test & Evaluation Opérationnels du Pentagone sur l’exercice 2013 a constaté que les tests avaient été insuffisants et que JLENS nécessitait une amélioration dans des domaines critiques, parmi lesquels « la reconnaissance de cible non coopérative, la capacité d’identification d’avions amicaux, et la cohérence de trajectoire de cible » – c’est-à-dire savoir faire la différence entre amis et ennemis.

Le rapport des tests a conclu que JLENS a manqué à ses objectifs en matière de fiabilité, en raison de deux problèmes de logiciels et de matériel, qu’il était trop tributaire d’une bonne météo, et qu’il « n’a pas démontré la capacité de survivre dans son environnement opérationnel prévu ».

En effet, un dirigeable a été atteint dans son usine de fabrication et d’essai en Caroline du Nord en Septembre 2010 après avoir été frappé par un autre dirigeable amarré à proximité et qui s’était désarrimé à cause d’une tempête. L’armée et Raytheon se sont assis sur ces nouvelles pendant plus de six mois, jusqu’à ce que InsideDefense.com ait relevé une mention de la collision dans un rapport du GAO.

L’accident a coûté à l’Armée 168 millions de dollars de plus.

Et l’argent continue de couler. Il y a deux semaines, l’armée a octroyé à Raytheon un autre contrat, celui-ci de 12 millions de dollars pour simplement maintenir les dirigeables en fonction pour les six prochains mois.

PROBLÈMES DE CONFIDENTIALITÉ

Raytheon a tenté d’atténuer les problèmes de confidentialité dans quelques-unes des «Foires Aux Questions» de son site promotionnel, lesquelles insistent pour que JLENS ne puisse pas être utilisé pour suivre les individus.

« Les radars peuvent dire que quelque chose est en mouvement, mais à cause de la façon dont ceux-ci fonctionnent, ils ne peuvent tout simplement pas déterminer l’identification des caractéristiques des voitures, telles que leurs marques, leurs modèles ou leurs couleurs », dit Raytheon. « Dans le même esprit, ils ne peuvent pas dire qui conduit le véhicule ou voir la plaque d’immatriculation ».

Le Commandant Nelson insiste sur le fait que « JLENS est un système de radar élevé qui n’a aucune vocation à surveiller des cibles au sol. Il ne stocke organiquement aucune donnée radar ».

Même si le radar peut suivre une circulation sur des centaines de kilomètres carrés, ainsi la vraie question se pose sur ce que l’armée va faire avec ces données.

De vastes suppressions faites par l’EPIC dans les centaines de pages de documents contractuels liées à JLENS en réponse à une poursuite pénale du Freedom of Information Act (ndlt: Loi sur la Liberté de l’Information) laissent la véritable portée du projet dans l’opacité.

Un chercheur de l’EPIC qui s’est penché sur les documents a trouvé un passage alarmant. Le contrat de l’armée avec Raytheon, dit-il, sera évalué en fonction de son « potentiel de croissance pour accueillir des missions nouvelles et/ou alternatives ».

Parlez avec des experts en dirigeable, et ils vous diront ce pour quoi ces dirigeables sont bons.

«Ils sont merveilleux pour examiner avec attention les choses», dit Ed Herlik, un ancien officier de Air Force et analyste en technologie qui porte un intérêt particulier pour les dirigeables. « C’est ce pour quoi les Israéliens les utilisent ».

Et ce n’est pas seulement leur capacité à documenter ce qu’ils voient qui est si précieuse; c’est aussi l’effet psychologique. « Si vous mettez une caméra dans un ciel au-dessus d’une zone où vous attendez beaucoup de troubles, la région va se calmer », dit-il.

Jay Stanley de l’ACLU, affirme que les promesses de l’armée ne sont suffisantes.

« Je suis sûr que les gens qui nous donnent ces assurances pensent tout ce qu’ils disent, mais la nature des programmes gouvernementaux et des organismes gouvernementaux, fait que les choses ont tendance à se développer et que les protections des renseignements privés ont tendance à rétrécir ».

Ce dont le programme à besoin, selon Stanley, c’est de surveillance et il n’a pas cela aujourd’hui. « Si nous allons avoir des dirigeables massifs planant au-dessus des zones civiles, ou dans des zones civiles qui se trouvent dans le rayon du radar, alors nous aurons besoin de freins et de contrepoids très robustes qui fourniront l’assurance qu’il n’y a aucune surveillance domestique mise en oeuvre », dit Stanley.

Les règlements fédéraux de la vie privée ne s’appliquent pas actuellement. « JLENS ne fonctionne pas selon les règles de la vie privée », explique Smith, le porte-parole de JLENS. « C’est un radar militaire et en tant que tel il ne comporte pas de caméras électro-optiques ou infrarouges, ni n’a la capacité de surveillance acoustique ou électronique. Il n’a aucune capacité à «écouter» le trafic cellulaire ou radio, il ne peut pas optiquement «voir» des objets au sol ».

Pour l’instant, ce qui se rapproche le plus d’une supervision publique sera une « journée porte ouverte aux médias » au Aberdeen Proving Grounds ce mercredi. L’armée donnera aux journalistes l’occasion de faire des « oooh et des aaah » lors d’une observation de près de l’un des dirigeables, entièrement gonflé avec assez d’hélium pour remplir environ deux millions de ballons de fête de neuf pouces.

Mais même ce dirigeable n’est pas encore prêt pour son « très-retardé » lancement. Et l’autre n’est même pas encore gonflé.

 

Traduction : Rochelle Cohen

 

Source : The Intercept

Commentaires récents

  1. bonfils

    2,8 Milliard pour un ballon, les actionnaires de ce projet on du bien se remplir les poches, à moins que ce soin Jeff Koons qui là dessiné.

  2. Jean

    Ah les dirigeables de surveillance, que de souvenirs (papiere schnell, restez gruppierte), qui allaient de paire avec les trains qui amenaient jusque dans les camps FEMA…
    Ils ne s’appelaient peut être pas FEMA à l’époque, mais les USA ont juste changé le nom.
    https://www.youtube.com/watch?v=ldNWOpxTADg&t=4m01s

    1. Robin

      Je ne saisis pas très bien. Les dirigeables de surveillance furent utilisés par l’Allemagne durant la 1ere guerre mondiale, donc je ne vois pas le rapport avec l’Occupation, à moins que vous ne parliez que de la surveillance. Dans ce cas, c’est limpide.
      D’ailleurs l’accident du Hindenburg leur a servi de leçon, et je n’aimerais pas être le contribuable américain si une chose pareil se reproduisait sur ces mouchards volants.

    2. Jean

      @Robin : Les dirigeables ont été détrônés à la fin de la seconde guerre mondiale.
      Comme l’utilisation des chevaux a été détrônés par les véhicules.
      Mais les guerres se font avec les moyens du bord.
      Il n’y a que les films de guerre pour montrer principalement les armes dernier cri, la réalité étant moins reluisante comme pour les « duels de Western »…

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